Ashray était assis devant une table de poker. Il adorait ce jeu et la chance l’accompagnait cette soirée. L’ambiance du casino était à la fête. Le luxe était abondant et le propriétaire voulait montrer au monde sa richesse. Dans les coupes de champagnes, des paillettes d’or flottaient. Les serveuses mannequins étaient peu habillées et aguicheuses au maximum. Certaines femmes servaient d’œuvre d’art, prenant la pose sur des plateformes, couvertes de fines feuilles d’or. Les gens qui étaient ici étaient tous extrêmement riches et souvent très vieux même s’ils continuaient à arborer leurs vingt-cinq ans. Pour entrer il fallait une invitation du maître des lieux. Comme d’habitude, Ashray faisait tout pour qu’on le remarque. Il discutait avec tout le monde, parlait de sa personne et faisait toujours en sorte de capter l’attention. En bref, la routine.

Son regard se posa sur une belle jeune femme seule dans un coin. Elle était très belle, bien habillée et distinguée. Comme un peu toutes les personnes présentes ici. Le problème avec ce genre de femmes, c’est qu’on ne savait jamais quel âge elles avaient. Disons que l’idée d’aborder une femme dix fois plus âgée que lui calmait un peu ses ardeurs. Il la détailla de son regard brun, elle lui disait quelque chose. Il l’avait déjà vue quelque part c’était sûr. Si ça se trouvait, ils avaient déjà eu plus d’une conversation mais il n’avait pas été très attentif. Si ça avait été le cas, c’était qu’elle n’avait tout simplement pas mérité son attention. C’était de sa faute. Bon, il fallait se renseigner sur la bête avant de goûter à la viande pour éviter les morceaux avariés.

Discrètement, il se renseigna auprès d’un joueur de la table pour connaître le prénom et le nom de la jeune fille qu’il avait remarquée. Keyleigh Andrews. Ah oui, il s’en souvenait maintenant. C’était la fille d’un richissime qui avait fait fortune dans l’aviation ou un truc du genre. Et, si ses souvenirs étaient corrects, elle était à peine plus vieille que lui, ça pouvait aller. Sans attendre, il prit une coupe de champagne à une serveuse et s’approcha de la jeune fille avec un large sourire. Près d’elle, il lui tendit une coupe et lui dit :


« Enchanté mademoiselle. Je n’ai pu m’empêcher de remarquer que vous étiez seul ce soir. Me permettez-vous de vous tenir compagnie ou bien attendez-vous quelqu’un ? »


Ashray attendit une réponse, certain de son coup. Après tout, il était le plus bel homme de la soirée.

Encore une soirée pseudo-mondaine où l'alcool et l'argent - enfin, le temps - coulent à flot ... encore une où il fallait aller pour se montrer, pour se faire bien voir et où, par conséquent, il fallait bien se tenir. Non que ce soit réellement une corvée mais par moment, Key aimerait pouvoir dire non à ces invitations là. Hélas, elle en faisait déjà bien trop qui risquait de nuire à la réputation de son père pour en plus jouer à la petite fille capricieuse qui refuse d'aller à une soirée... Et après tout, ça ne durerait pas toute la nuit, elle n'aurait qu'à boire quelques verres, manger quelques canapés et, quand tout le monde l'aurait enfin remarquée, elle pourrait dire à son paternel qu'elle était vraiment fatiguée et ne lui resterait plus qu'à appeler son fidèle Jenson - son chauffeur - pour qu'il vienne la chercher et qu'il la ramène à la maison.
Certes ... rester seule à la maison avec la gouvernante n'était pas plus glorieux que de se trouver là mais au moins ce serait son choix et elle pourrait y faire ce qu'elle voudrait.

Pour l'heure, elle était là et elle devait donc faire bonne figure. Elle avait déjà passé une bonne partie de son temps aux côtés de son père, était restée près de lui sans dire grand chose et en écoutant son ainé parler de ses hélicos et de l'économie actuelle du pays. Autant dire un bel ennui pour la jeune femme qui préférait l'art et la création à l'économie. Mais ce n'était pas une soirée où on attendait d'elle qu'elle donne son avis alors ... à quoi bon.
Au bout d'un moment où elle fut lasse de suivre son père comme le fidèle toutou qu'elle était ce soir-là, elle prit une coupe de champagne et alla s'asseoir seule dans un coin, seule à une table qui était à présent inoccupée. Ainsi délaissée dans sa belle robe de satin bleu ciel, joliment et sobrement maquillée et coiffée d'un magnifique chignon dont descendaient deux mèches ondulées à l'anglaise, elle avait l'air d'une princesse abandonnée par son prince, peut-être mort au combat en voulant tuer un dragon. Mais bien sûr, tout cela n'était que dans sa tête, dans son imagination et elle visualisait déjà qu'elle couverture de livre elle pourrait créer avec cette image là. Mais la question n'était clairement pas là. Alors qu'elle divaguait, laissant son esprit voguer là où il le souhaitait, elle aperçu un jeune homme s'approcher d'elle. Il lui était vaguement familier mais elle ne saurait dire pourquoi. Enfin, pour être à cette soirée, il devait avoir beaucoup d'argent. Peut-être le fils d'un client de son père ou même ... le client lui-même ! Allez savoir quel âge il avait. Une chose était certaine, il avançait tel un paon qui se pavane, visiblement certain de son charme et de l'effet de celui-ci sur les femmes.
Mais Keyleigh n'était pas le genre à juger trop vite les gens, elle attendrait de voir ce qu'il voudrait et elle verrait bien où cela la mènerait. Elle avait au moins eu raison sur un point, c'était bel et bien d'elle qu'il s'approchait.

Lorsqu'il lui adressa la parole, elle ne sut pas bien comment le prendre. Devait-elle être vexée qu'il ait remarqué qu'elle était seule ou devait-elle le prendre comme une invitation à ne plus l'être et donc à briser l'ennui ? Au point où elle en était, elle préféra la deuxième option et répondit donc :

Des paroles simples au possible. En même temps, elle n'allait pas s'étendre en discours interminables pour une simple invitation à s'asseoir... Elle ajouta tout de même quelques mots :

Maintenant que l'homme était à sa table, Key pouvait bien mieux se rendre compte du genre de personne qu'elle avait face à elle. A ses réactions et son attitude, il avait l'air d'être de ce genre pédant et hautain qu'elle détestait mais encore une fois, elle préférait ne pas juger trop vite.
Elle avait eu raison sur un point, il s'agissait bien d'un "fils de" et il avait visiblement l'air très satisfait de cela. Keyleigh aussi était "fille de" mais elle préférait être connue pour ce qu'elle était elle et pas pour être la fille de son père. A quoi bon se démener pour accomplir des choses si ce n'est que pour être la fille de quelqu'un sans être soi-même. Après ... ce n'était pas comme si elle cherchait à être réellement connue. Faire des illustrations lui plaisait, elle avait des commandes et ça lui allait très bien ! Elle ne cherchait pas une reconnaissance mondiale. Ce qui comptait, c'était de faire ce qu'elle aimait. Mais en face d'elle ... elle semblait avoir une personne qui n'avait pas la même vision des choses. Bien sûr, elle ne lui en ferait pas part de suite. Elle se contenta donc d'une réponse relativement évasive :

En fait elle n'en savait rien, n'ayant jamais réellement fait attention au physique du banquier mais si le fils était aussi fier d'être un fils de, il apprécierait sans doute le compliment. Et Key n'avait pas envie d'être désagréable...

La suite de la conversation rendit la jeune femme perplexe. Il pensait vraiment qu'il pourrait séduire ou tout du moins attirer l'attention avec ce genre de phrase ? Elle le fixa un moment, l'esprit un peu ailleurs, ne sachant comment réagir face à ce genre de réplique sans aucune profondeur et qui ne l'interpellait finalement pas du tout. Si elle ne s'était pas retenue, un très long "euuuuh" aurait sûrement franchit la frontière de ses lèvres mais elle parvint à l'éviter pour finalement articuler quelques mots en faisant comme si les répliques de ce Ashray avaient été plus ... "normales" :

Pour le coup ... elle en avait peut-être un peu trop dit, montrant ainsi qu'elle n'aimait pas vraiment ce milieu trop matérialiste pour elle mais c'était trop tard, ce qui était dit était dit et elle verrait bien comment ce blondinet réagirait. Et si elle avait raison en pensant qu'il cherchait à la séduire, il irait sûrement dans son sens ou alors il ferait mine de partir, ne voulant pas la déranger... Elle ne savait pas trop... Mais une chose était sûre, elle aurait très certainement sa réponse très vite...